Histoire ou anecdotes
Il y a une librairie dans la ville, vitrine toujours un peu poussiéreuse, porte bancale, qui a du mal à correctement s'ouvrir et cloche au dessus qui ne teinte jamais. Il y a une librairie dans la ville, elle est coincée entre deux autres bâtiments, paraît toujours fermée. Il faut du courage pour y entrer, et la libraire apparaît alors à l'ombre de ses étagères.
Quand personne ne la regarde, elle caresse les tranches des couvertures avec une douceur d'amante.
Quand des yeux se posent sur elle, elle semble comme une étrangère et un danger tout à la fois : quelqu'un à qui on a peu envie de parler, avec qui l'on limite les contacts.
Elle porte le noir, non pas sur ses habits, car les tenues de Kennedy sont diverses et variées, mais dans l'âme qu'elle a encore. Pour le moment....
Personne n'a envie de l'entendre rire ou de la voir heureuse, personne n'a pour elle pitié ou sympathie, elle est Kennedy, une extension de chair et de sang de la librairie. Au delà des livres, sa présence est reniée, à peine tolérée.
Tu n'as pas le droit!Elle n'a pas encore trente ans mais ça n'a aucune espèce d'importance, ne fête plus ses anniversaires depuis longtemps. Et personne ne lui souhaite bonheur, amour, longue vie ou santé, même les ombres ne semblent pas l'aimer.
Elle sourit, ses sourires ne sont rien.
Il y a une librairie dans la ville, il y a une femme qui y vit, il y a une autre femme qui est morte aussi, ne vieillit plus, n'existe plus.
Une soeur qui n'est plus une soeur mais une tragédie.
”Suis-je la gardienne de mon aînée?”Une aînée plus belle, tellement belle, et intelligente, et lumineuse aussi, capable de tout par un sourire.
D'aimer une soeur cadette qui elle, ne l'aimait pas, bien trop sombre, beaucoup trop sombre pour cela.
Kennedy n'a pas tué sa soeur, elle a simplement été incapable de la sauver. Cela est une histoire étrange, trop d'ombres et pas assez de regrets...
Cela s'est passé à Londres, les deux soeurs y suivaient leurs études. Il y a eu un accident, quelque chose dont on ne peut plus parler car ce ne serait pas pitié mais voyeurisme. Il y a eut un accident, périphrase maladroite pour dire que la plus belle des deux soeurs, mourut.
Plusieurs rumeurs : un chasseur, un assassinat, une main pâle, du sang, Kennedy incapable de réciter le sort capable de sauver cette soeur bien meilleure qu'elle, parce que sa magie a trop de noirceur elle aussi...
Une main qui retombe puisque le corps est désormais sans vie. Une faute....
Quelque chose qui ne s'explique pas, ne s'expliquera jamais.
Un cercueil mis en terre, avant cela une réunion familiale pour les parents orphelins, les oncles, les tantes...
Et eux, qui avaient déjà perdu une fille, choisirent de maudire l'enfant restante. Pas de la tuer, car qui peut tuer sa propre chair, son propre sang?
La punir, ne le méritait-elle pas?
Elle qui n'avait pu sauver sa soeur.
Elle qui avait survécu, plutôt que sa soeur...Pour cela, toute la famille dût participer. Ils condamnèrent Kennedy à vivre, car ils l'aimaient, mais ils la condamnèrent aussi à ne jamais connaître le bonheur, à souffrir de corps, de coeur, de la main et de la bouche de tous ceux avec qui elle voudrait se lier.
D'aimer, mais non point comme l'on demande aux gens d'aimer, avec amour, avec passion, mais avec douleur et sans sentiments surtout. Et que son regard et son coeur n'aillent que vers celui ou ceux capable de la mener à sa perte.
Tout comme elle avait elle-même mené sa chère soeur à la sienne, cette soeur qui l'avait aimé fort, tellement fort.
Un juste retour des choses...
La mère de Kennedy mourut quelques mois après avoir lancé cette malédiction. Son père resta faible, quitta la ville. Est-il encore vivant aujourd'hui? Kennedy n'en sait rien. Quant aux oncles, aux tantes, au reste de la famille, ils vivent tous éparpillés aux quatre coins de l'Angleterre, chacun est retourné en sa demeure.
Ne reste que Kennedy. Elle a une petite librairie et les livre qu'elle y vend sont des contes et autres histoires merveilles tout plein de cet espoir qu'elle ne possède plus.
Elle a une petite librairie, elle a une malédiction aussi, qu'elle portera en elle jusqu'à sa mort.
Depuis douze jours, le brouillard s'est levé. Une autre malédiction, un autre châtiment. Entre l'ombre des étagères et du comptoir, Kennedy ne sait pas de quel côté elle est : les punis, les damnés, elle qui en est-une aussi à son propre niveau, ou bien les bourreaux, car la femme semble aimer à voir les gens souffrir...
Veut-elle réellement voir une malédiction se briser quand la sienne ne le sera jamais?
Il y a une librairie dans la ville, la femme qui y attend ne vous porteras pas malheur, n'ayez craintes...
Vous, en revanche, ne lui apporterez jamais que souffrances.
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