J'ai besoin d'en apprendre plus - Nathanael

La nuit venait d’être courte et mouvementé pour Rosalyna. Des maux de tête incessants l’avaient sorti de son sommeil. La jeune femme souffrait terriblement. Elle avait cette drôle d’impression d’avoir le cerveau compressé, mais la douleur était bien plus terrible qu’un simple mal de tête. Paralysée et en pleine crise de panique, c’est au beau milieu de la nuit que la jeune femme s’est mise à hurler, alertant le couple qui l’hébergeait. Après des pleurs et de longues minutes de consolations la douleur avait fini par s’estomper et Rosalyna avait réussi à se calmer. Le couple avait préféré rester aux côtés de la jeune femme pour parler un peu avec elle. Elle souffrait de la situation, même si elle voulait le cacher, elle n’y parvenait pas, en tout cas pas devant eux. Rosy devait trouver une solution, elle n’avait pas le choix, elle ne voulait pas se résoudre à souffrir et à changer jusqu’à la fin de ses jours. Si elle était destinée à une telle vie, à une telle fin, elle préférait ne plus vivre. Après de longues discutions, la vieille dame qui l’hébergeait se souvenait d’un vieil ami de son époux, ou du moins d’une vieille connaissance de ce dernier. Il parlait souvent d’histoire de malédiction, de sorciers, de chasses aux sorciers et de tas d’autres choses qui sortait de l’ordinaire. De nombreuses personnes le prenaient pour un fou, mais apparemment, il aurait pu être utile à Rosalyna. Il connaissait certainement tout ce qui était en train d’arriver à cette ville et ses habitants. D’après eux, la jeune femme devait rendre visite à son petit-fils, un certain Nathanael Keller. Rosalyna était arrivée très récemment en ville et ne connaissait que très peu de monde ici, mais étrangement elle était certaine de pouvoir faire confiance en ses deux personnes qui se trouvaient devant elle au beau milieu de la nuit et qui lui avait tenu compagnie jusqu’au beau matin. C’est donc très tôt dans la matinée que Rosalyna s’est rendu au journal, situé au centre-ville, pour y trouver quelques informations, du moins, elle l’espérait. « Excusez moi, je cherche un certain monsieur Keller, Nathanael Keller. Il est ici ? » Un vieil homme lui montrait la direction à prendre pour le rejoindre. Déterminée à comprendre, elle s’était dirigée vers lui d’un pas décidé. « Monsieur Keller ? Je voudrais vous parler d’un sujet que vous semblez bien connaître. Puis-je m’asseoir ? » Sans réellement attendre sa réponse, la jeune femme avait pris place face à lui, prête à lui poser toutes les questions qui pouvaient lui venir à l’esprit. Toujours en prenant soin de cacher son tatouage, ce dernier devait rester secret. D’après les rumeurs, il était dangereux et pouvait lui coûter la vie.

Malgré ses envies et ce qu’il avait juré quelques années plus tôt, Nathanael se retrouvait à présent installé à Woodbury. Il avait fait le ménage dans la maison familiale et trouvé du travail dans le journal récemment ouvert en ville. Une aubaine pour lui d’ailleurs. Cela lui permettait de poser certaines questions et faire certaines recherches sans attirer l’attention. C’était un peu étrange de rester au même endroit pendant autant de temps. Il avait passé ces dernières années sur les routes, vivant presque dans sa voiture la plupart du temps. Avoir un bon lit chaque soir était devenu un véritable luxe pour le chasseur. Même si il aurait préféré le contraire, la situation avait donné raison à Nath. La ville changeait radicalement depuis quelques temps, et il y avait toutes ces histoires étranges… faisant échos à celles de son grand-père. Le vieil homme aurait probablement eu un bon sermon en magasin si il était encore en vie. Le journalisme se renseignait sur tout ce qu’il faisait et menait des recherches, autant dans les archives de la ville que dans celles de son grand-père. Ce dernier avait amassé un nombre incalculable d’informations, perdues au milieu de ses hypothèses et suppositions. De plus vieux ouvrages trainaient aussi dans la demeure, mais il n’avait pas encore eu le temps d’y jeter un coup d’œil. Assis derrière son bureau, dans les locaux du journal, il relisait son article avant de l’envoyer à l’éditeur.

Son regard fut attiré vers l’entrée en entendant son nom. Plus que l’entendre il eut une drôle de sensation. Une sorte de sixième sens qu’il avait développé durant ses années dans l’armée et sur les routes à chasser les sorcières. Nath sentait quand on le cherchait… Sans savoir vraiment comment il pouvait le savoir en réalité. Cette personne avança directement à son bureau et s’adressa directement à lui. Nathanael n’eut pas le temps de répondre qu’elle s’installait déjà. Il était curieux de ce qu’elle pouvait bien avoir envie de lui parler.

_ « Je vous dirais bien de vous installer, mais vous l’êtes déjà… » Il lui sourit et reprit simplement. « Et vous êtes ? Je n’ai pas l’honneur de vous connaître. »

Nathanael était revenu récemment. Six mois lui paraissait très court. Le journaliste s’enfonça dans son siège, cognant sa visière de casquette dans le dossier. Il avait pour habitude d’en avoir une à l’envers sur la tête quand il écrivait ou lisait. Cette personne face à lui avait des traits familiers, sans qu’il puisse définir clairement ce dont il s’agissait. Que pouvait-il bien connaître qui pourrait l’intéresser. Il n’était pas spécialisé dans un domaine particulier, et peu de personne aurait pu l’envoyer vers lui. Ses derniers articles n’avaient rien de réellement intéressant, puisqu’il cachait volontairement certaines informations.

_ « Et que puis-je pour vous ? »

Pour le moment, Nathanael se montrait amical et surtout curieux des raisons de sa venue. Il n’avait aucune raison de se méfier ni même d’avoir peur pour le moment. Certains les observaient un peu curieux. Après tout elle était la première personne à venir lui rendre visite au travail depuis son arrivée.

Cette nuit avait fait prendre une grande décision à Rosalyna. Elle devait quitter cette ferme, se confronter au monde extérieur pour en apprendre un peu plus sur elle-même. Sur ce qui était en train de lui arriver. Sur ce qui au fil du temps allait certainement lui gâcher la vie et la lui prendre à petit feu. Si ce journaliste pouvait l’aider, elle n’avait pas d’autre choix que d’aller le voir. Il pouvait peut-être lui être utile, l’aider à comprendre et pourquoi pas à mieux vivre ce qui lui arrivait. Même si elle ne croyait pas à tout ce qui touchait au surnaturel, elle refusait de croire qu’elle était en train de devenir folle. Tout était lié à ce fichu tatouage apparu ce vingt octobre sur son poignet gauche. Tout avait commencé à partir de là.

Une fois au journal, la jeune femme avait demandé à voir Nathanael Keller, qui semblait avoir compris que quelqu’un le cherchait puisqu’il avait la tête relevée quand Rosalyna s’avançait auprès de lui. Cherchant si elle était bien en présence de la bonne personne, Rosy était allé directement droit au but. Elle avait des questions à lui poser et elle chercher des réponses. Rosalyna sourit à la réponse de Nathanael, il était vrai qu’elle n’avait pas attendu son autorisation pour prendre place à son bureau. Et comme venait de lui faire remarquer ce dernier, elle ne s’était même pas présenté. « Je suis désolée, j’en oublie mes bonnes manières. Je m’appelle Rosalyna O’hara, je suis nouvelle par ici. » En effet, ils ne se connaissaient pas. Pourtant, la jeune femme était dans la pièce depuis une minute à peine et l’homme qui se trouvait face à elle lui faisait bonne impression. Elle avait l’impression de pouvoir lui faire confiance. C’était comme si ils se connaissaient depuis déjà de longues années. Assez étrange pour deux inconnus, se voyant pour la première fois. Malgré ce sentiment, elle devait éviter de dire que c’était pour elle qu’elle allait poser toutes ces questions. « Je suis ici pour une personne à qui je tiens beaucoup. On m’a conseillé de venir vous voir. Je ne sais pas bien pourquoi ni ce que vous avez à faire dans toute cette histoire. Apparemment, tout provient plutôt de votre défunt grand-père. Il s’agit de votre héritage familial en réalité. Il n’est pas question là d’argent ou de biens à transmettre, mais plutôt de savoirs transmis autrefois. Sur les… les sorciers. » Rosalyna s’était soudainement mise à chuchoter. Elle ne voulait pas que les collègues du journaliste entendent ce qu’elle avait à dire et encore moins qu’ils la prennent pour une folle qui délirait sur ces sujets surnaturels et toutes ces rumeurs. « En fait, j’ai plusieurs questions précises à vous poser. Comme par exemple, est-ce que vous reconnaissez ce tatouage ? Est-ce que vous l’aviez déjà vu ? » En aucun cas, Rosalyna était en train de montrer son poignet. Elle avait pris une photo de ce tatouage juste avant de quitter la fermer dans la matinée. La plus importante des questions était celle-là. Rosalyna devait en apprendre plus sur ce tatouage. Pourquoi était-il apparu ? Pourquoi en était-elle une victime ? Pourquoi depuis son apparition elle subissait des sortes de crises, tant de souffrances, que de nervosités. Peut-être pouvait-il lui apporter des réponses. Ou alors, n’était-il au courant de rien ou que de très peu de choses. Allait-il simplement accepter de parler de tout cela avec une jeune femme qu’il ne connaissait même pas ?

Ce n’était pas la première fois qu’on venait le voir pour discuter de certaines choses. En tant que journaliste, certaines personnes avaient toujours quelque chose à lui dire, des informations comme des critiques sur ce qu’il pouvait bien écrire. Mais c’était une première depuis son arrivée dans ce journal. L’atmosphère de la ville était lourde, et tout le monde se regardait en biais cherchant une réponse ou une explication. Evidemment les rumeurs allaient bon train parmi la population, et certaines histoires ressortaient des légendes familiales. Pour tous ce n’était qu’un mythe et une légende, mais pour Nathanael, c’était une réalité qui l’avait frappé plusieurs années auparavant. Pour le moment, il observait simplement cette jeune femme face à lui avec cette étrange impression de la connaître. Ce ne serait pas la première fois en réalité. Le chasseur mit ce sentiment sur son attitude et son expression. Ce comportement typique des personnes faisant face à un phénomène incompréhensible et étrange. Nath avait rencontré de nombreuses personnes dans cette situation au cours de ses différentes chasses, et il pouvait presque les reconnaître au premier regard. Cela pouvait aussi correspondre au dépressif et autre comportement du même type, mais généralement on voit ce qu’on veut voir dans les personnes que l’on croise. Le journaliste se contentait de sourire impatient de connaître les raisons de cette intrusion.

Elle se présenta et il hocha la tête. Ce nom ne lui disait strictement rien, que ce soit de façon récente ou plus ancienne. Elle ne devait pas être originaire de la ville, ou il n’avait pas croisé un membre de sa famille à l’époque comme récemment. Son discours commença, et Nath ne put contenir un sourire. La fameuse technique du je viens pour un ami. C’était une méthode connue et utilisée par de nombreuses personnes. Le chasseur ne comptait pas la reprendre pour le moment et accepterait de jouer le jeu tout simplement. Quand elle évoqua son grand-père, son regard balaya la pièce immédiatement. Sa décontraction disparue presque instantanément et il se retrouva plus en alerte. En murmurant son interlocutrice lança le mot tabou. Celui qui donne l’impression de devenir fou. Nath attendit d’autres explications et se contenta de plisser les yeux comme si il ne comprenait pas ce qu’elle voulait dire. La photo attira son attention. Certains parlaient de ce tatouage notamment parmi les chasseurs, mais il le voyait pour la première fois.

_ « Venez avec moi. »

Nathanael avait hésité un long moment avant de la prendre par le poignet. Il se leva et se dirigea vers une salle de réunion. Sans prêter attention à son entourage, le journaliste ferma les stores de la pièce et se retourna face à la jeune femme. Elle n’avait eu guère le choix de le suivre, et de toute manière c’était sa seule solution pour obtenir des réponses. Un long soupir précéda sa prise de parole.

_ « Il y avait peut-être des moyens plus discrets pour m’aborder. Si on vous a parlé de mon grand-père, vous devez savoir où j’habite. » Il releva la tête et retira sa casquette pour se passer la main dans les cheveux avant de la remettre. « Et si vous jouiez franc jeu maintenant. »

Nathanael n’avait pas envie de mener ce type de conversation en faisant comme si tout n’était qu’hypothèse. De toute manière ses réponses n’étaient pas forcément complètes. La plupart venait de ce qu’il se souvenait des paroles de son grand-père, de ce qu’il avait pu lire… et il se disait qu’il serait enfin temps de se plonger dans les archives récupérées par le vieux bonhomme. Sans lui laisser vraiment le temps de répondre ou de réagir, il s’approcha de son interlocutrice et lui prit les poignets pour les dégager avant de s’écarter une fois la preuve trouvée.

_ « Que savez-vous des sorcières exactement ? Et que cherchez-vous à savoir ? » Il s’installa sur une chaise et l’invita à faire de même. « J’ai quelques bribes de réponses, mais pas toutes malheureusement. Encore faut-il que vous y croyiez tout simplement. »

Le journaliste observa la jeune femme face à lui, avec cette étrange sensation toujours présente. Cette envie de l’aider bien plus présente que ce qu’il avait pu vivre jusqu’à maintenant face à d’autres victimes. Il s’attendait aussi une réaction plus violente de sa part, vu qu’il venait de l’agresser d’une certaine manière.

Cet inconnu devait pouvoir l’aider, devait pouvoir lui apporter des réponses. On ne lui avait pas parlé de lui par hasard. Son grand-père n’était plus de ce monde, mais il avait certainement eu le temps d’apprendre des tas de choses à son petit-fils qui pouvait être utile à Rosalyna. Il le fallait. Il n’y avait pas d’autre solution. Rosy s’était présenté devant cet homme et elle était prête à lui parler de tout ce qui était en train de se passer, prête à le questionner, même si cela devait lui prendre la journée entière, pour la jeune femme tout cela n’avait aucune importance. Nathanael ne lui semblait pas offensif. Elle avait cette étrange impression de pouvoir lui faire confiance, de pouvoir lui parler, comme elle pourrait parler à ses parents si elle était encore en Écosse. Rosalyna commençait d’ailleurs à expliquer la raison de sa venue jusqu’ici à une heure aussi matinale. Même si les mots avaient du mal à venir, elle s’expliquait, sans jamais dire qu’il s’agissait d’elle. Le sourire qu’il affichait au visage montrait qu’il avait bien compris qu’il n’y avait aucune connaissance en jeu, mais simplement Rosalyna elle-même. Quand Rosy eut fini de parler, l’homme qui se trouvait en face d’elle avait littéralement changé d’expression du visage. La photo du tatouage avait comme fait un déclic chez cet homme. Puis il s’était tout à coup montré plus violent envers la jeune femme. Il voulait qu’elle le suive, mais ne lui avait pas réellement laissé le choix, il l’avait saisi par le poignet avant de la traîner de force dans une autre pièce à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes.

« Je suis sincèrement désolée de venir vous déranger sur votre lieu de travail, mais je n’avais que peu d’information sur vous. On m’a simplement dit que vous travailliez au journal. Je n’allais pas commencer à faire toutes les maisons de Woodbury et ses alentours pour essayer de mettre la main sur vous. » Rosalyna répondait un peu plus sèchement qu’au début, mais il fallait la comprendre, il venait de se montrer agressif avec elle. Et puis, si elle avait su où il habitait, elle se serait rendu là-bas. Elle n’aimait pas mettre mal à l’aise les autres et puis, elle savait que même pour elle, il aurait été plus simple de parler chez lui, sans tous ses collègues. Il venait de lui demander de jouer franc jeu avec elle. Qu’entendait-il par là ? Rosalyna n’avait pas envie de lui répondre. S’il voulait savoir si c’était elle la victime du tatouage, il allait devoir attendre encore un peu. Elle devait être certaine de pouvoir lui accorder toute sa confiance, même si elle avait l’impression que c’était déjà le cas.

L'homme s'était approché d'elle pour regarder ses poignets. Il savait donc que le tatouage l'avait marqué. Malgré ce geste Rosalyna gardait son calme. Bien qu'un peu peureuse, elle ignorait qui était réellement cette personne. Désormais, il allait pouvoir parler franchement. Rosalyna s’installa sur l’une des chaises après qu’on le lui ait autorisé à le faire. Elle écouter l’homme parlait, avant de reprendre un air très calme et doux. Elle n’aimait pas s’emporter, s’énerver après les autres. Ce n’était pas elle. Et quand elle le faisait, ça ne faisait que lui rappeler la malédiction qui était en train de s’abattre sur elle et sur d’autres aussi d’après les dires. « Je ne sais presque rien de ses créatures. Pour moi, ce n’était que des légendes, que des personnages que l’on pouvait trouver dans les livres d’histoires que me lisaient mes parents avant que je ne m’endorme. J’ai appris il y a quelques jours seulement que cette ville avait une réelle histoire avec ces sorciers, mais je ne sais même pas pourquoi. Je sais que depuis le 20 octobre des personnes ont vu apparaître un tatouage représentant un arbre de la vie aux feuilles tombantes sur le poignet gauche. Et les sorciers n’y seraient pas pour rien. Je n’ai que ces quelques informations. Je suis prête à vous écouter, même si vous n’êtes sûr de rien, même si vous ne saviez pas grand-chose. » Rosalyna parlait sans même prendre une seconde de pause. Elle voulait tout comprendre, maintenant. Elle ne voulait plus attendre que les réponses lui viennent. Elle savait que si elle voulait savoir ce qui était en train d’arriver, elle devait poser les bonnes questions aux bonnes personnes. Rosy n’était dans cette situation que depuis un peu moins de deux semaines, mais elle était déjà à bout. Elle voulait que tout cela s’arrête. « Aidez-moi du mieux que vous le pouvez. Je vous en supplie. » C’est presque au bord des larmes que Rosa avait sorti ces quelques mots. Tous ces événements étaient en train de lui gâcher l’existence. Était-elle condamnée à une vie de souffrance ? Elle ne supporterait jamais que cette issue soit la seule.

Ce n’était pas le genre de discussion qu’il aimait avoir en règle générale, et encore moins avec des spectateurs aussi curieux que des journalistes. Sans ménagement aucun, Nathanael entraîna la jeune femme dans une autre pièce dont il ferma la porte et baissa les stores. Cela permettrait d’éviter les curieux, et parce qu’il avait connu des journalistes capables de lire sur les lèvres. Autant ne pas jouer avec le feu. Son regard se posait sur son interlocutrice, pour la sonder et découvrir certaines choses… Il y avait aussi cet étrange sentiment qui l’étreignait en sa compagnie. Une drôle de sensation qui le mettait un peu mal à l’aise pour être honnête. Des hochements de tête accueillirent ses réponses. Les informateurs auraient pu donner son adresse, plutôt que de simplement préciser son métier. Cela aurait été plus simples pour tous les deux. Maintenant ils avaient attiré l’attention de ses collègues, et il faudrait qu’il trouve une bonne explication le moment venu. Evidemment la conversation devint un peu plus tendu, et Nath était au courant d’être le responsable de cette situation. Il se détendit un peu après avoir vérifié son tatouage, et s’installa sur une chaise en l’invitant à faire de même. Cette fois, le chasseur l’encouragea à donner plus d’informations afin de savoir par où démarrer et ce qu’elle pouvait savoir pour le moment. Après tout, ses informations étaient sommaires et hypothétiques pour la plupart.

Rosalyna ne semblait pas savoir grand-chose sur les sorcières, et les termes utilisées lui paraissaient peu appropriés pour les définir. Mais c’était une erreur de bonne foi comme on disait. Sa tête marquait sa compréhension à chaque nouvelle information, les confirmant de façon indirecte. Elle était évidemment en quête de réponse. Sans réellement y réfléchir, Nathanael posa sa main sur l’épaule de la jeune femme et lui fit un sourire réconfortant.

_ « Sachez déjà que vous n’êtes pas seules, autant dans votre souffrance que dans votre quête de réponse. » Il marqua une pause avant de continuer. « Comme je le disais, j’en sais un peu plus sur des éléments du passé… et j’ai quelques pistes sur cette histoire de tatouage et ce qui se passe dans la ville. Mais bon ce ne sont que des déductions faites à partir de récit de personnes directement concernées à l’époque. Pas forcément très objectif. »

Par où devait-il commencer. Nathanael n’avait jamais eu à tout expliquer à une personne, et généralement c’était plutôt l’un de ses cousins qui se chargeaient des cours dans ce domaine. Le chasseur n’écoutait que d’une seule oreille dans ces moments. Il plongea son regard dans celui de la jeune femme et reprit la parole.

_ « Pour ce qui vous concerne, je peux simplement dire que c’est une malédiction. Très puissante et c’est la première fois que j’en vois une de cette ampleur. » Il soupira légèrement. « Tout remonte à priori à plus de deux cents ans, presque trois cents. Je n’ai plus la date exacte. Il y a eu une grande chasse aux sorcières. Beaucoup de mort… je vous passe les détails. A priori les sorcières ont lancé une malédiction sur tous les participants de cette chasse, et leurs descendants. » Il afficha un sourire de circonstances avant de conclure. « Comme vous. »

Ce ne serait pas facile d’accepter d’être prise à partie à cause de l’un de ses ancêtres. Généralement l’injustice et l’incompréhension étaient les premières réactions, ce qui entraîneraient forcément une explication plus longue sur les sorcières. Mais la conversation dépendrait surtout de l’attitude de Rosalyna.

Rosalyna n’était pas seule à souffrir, ça, elle était au courant. Elle savait qu’ils étaient nombreux à voir cette marque apparaître le 20 octobre 2018. Mais elle n’était pas non plus la seule à vouloir comprendre. Cette phrase l’avait étrangement rassurée au fond. C’était rassurant de savoir qu’ils étaient quelques-uns à vouloir comprendre. À ses réponses, Rosy hochait la tête. Il se basait sur des livres d’époques, ce n’était pas quelque chose de certain, mais c’était déjà quelque chose. Il avait quelques réponses à apporter et même si ces dernières étaient loin d’être certaines, il avait tout de même quelques réponses à lui apporter.

Nathanael avait l’air de bien vouloir l’aider, de lui donner quelques explications à son mal-être. Il n’avait jamais vu de malédiction aussi puissante, ce qui n’était peut-être pas rassurant pour la jeune femme et les gens qui se trouvait dans la même situation qu’elle. Mais d’après lui, tout avait commencé deux ou trois cents ans plus tôt à cause d’une chasse aux sorcières. Tous les descendants des coupables de cette chasse devaient être condamnés. C’était impensable. Pourquoi les punir eux ? « Pardon ? Quoi ? Non, mais c’est une blague. Je suis en plein cauchemar. Vous êtes en train de me dire que tout ce qui est en train de m’arriver est à cause d’une histoire vieille de trois cents ans ? Je ne suis pas mes ancêtres. Je ne suis pour rien dans toute cette histoire. Je ne peux pas payer pour ça, c’est impossible... C’est impossible. » Comment était-ce possible ? Pourquoi faire payer quelques choses à des générations futures ? Après tout, nous ne sommes pas comme nos parents, nos grands-parents ou nos ascendants plus éloignés. C’était impensable. On ne pouvait pas faire payer quelque chose, avec une telle ampleur surtout, à une génération d’innocent. Si les damnés arrivaient à se venger de ça, de cette malédiction, il ne le ferait pas payer aux générations futures. Ni même aux sorciers du présent, puisque apparemment, ils n’y étaient pour rien. Enfin, parmi eux, il y en avait certainement qui n’était pas contre cette malédiction. Certains qui étaient même certainement pour cette malédiction. Certains qui voudraient même peut-être faire souffrir d’avantage les damnés innocents. Rosalyna était dans l’incompréhension la plus totale. Et elle ne pouvait pas le cacher. Sa façon de parler, ses mimiques de visage le montrer très facilement. Elle avait besoin que Nathanael lui en dise plus sur cette malédiction. Sur le déclenchement de cette malédiction, ou plutôt sur le moment où cette malédiction s’est déclenchée. « Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi est-ce que la malédiction ne s’est déclenchée que de nos jours ? Pourquoi pas avant ? Elle a pu attendre trois cents ans, elle pouvait encore attendre quelques dizaines d’années. Pourquoi ne s’est-elle pas déclenchée plus tard ? » C’est vrai qu’est-ce qui avait pu déclencher cette malédiction ? Était-ce une date fixée dans le temps ? Un simple hasard ? Y avait-il eu un élément déclencheur ? Tout était incompréhensible. Rosalyna voulait tout savoir. Elle voulait connaître les raisons de son malheur et de ceux d’autres dizaines, voir centaines de personnes. Pourquoi est-ce que tous ces gens payaient pour des fautes qui remontaient à environ trois cents ans.

Une nouvelle question, parmi tant d’autres certes, venait de traverser l’esprit de la jeune damnée. Y avait-il un moyen pour y mettre fin ? Il devait certainement y en avoir un. Chaque système avait une faille. Là aussi, il devait y en avoir une. La plus infime, soit-elle, elle existait certainement. Il fallait simplement fouiner assez loin pour mettre la main dessus. Rosalyna espérait en tout cas que cette faille existe. Et que si elle existait, quelqu’un allait vite la trouver pour mettre fin à tout cela. « Il y a un moyen d’y mettre fin ? Je veux dire à part… à part la mort sans doute. » S’il n’y avait pas d’autres moyens d’arrêter la malédiction, Rosalyna allait finir par y avoir recours. Avant, jamais elle n’aurait pu avoir ce genre de pensées, mais la malédiction n’aidait pas. De plus, ici, elle n’avait personne pour être soutenue. Elle ne connaissait personne. Personne ne pouvait tenir à elle ici. Elle ne savait même pas si elle allait pouvoir aborder son demi-frère un jour. Elle n’avait aucunement envie de voir sa mère. Et son père ? Qu’était-il devenu ? Elle n’en savait absolument rien. Elle ne connaissait rien de lui. Quand on lui avait parlé de sa mère biologique, on lui avait dit qu’elle était encore ici, tout comme son demi-frère. Mais pour son père, on ne lui a rien dit. Elle ne savait pas s’il vivait encore dans le coin, elle ne savait pas s’il était encore en vie. Sa famille était certainement en Écosse, elle ne les reverrait sans doute jamais. Quant à son mari, même s’il était certainement à sa recherche, elle ne devait plus continuer à l’aimer, ou plutôt, il devait apprendre à ne plus l’aimer. Autant dire qu’elle était désormais seule. Morte ou vivante, ça n’allait rien changer... pour personne.

Le journaliste avait compris depuis le début que cet entretien concernait la jeune femme face à lui, même si maintenant il en avait la confirmation. C’était la première personne « damnée » qu’il rencontrait en ville, tout en ayant entendu parler des autres. Ce n’était pas le genre de chose qu’on évoquait ouvertement, surtout dans les circonstances actuelles. Une fois les choses mises au clair, Nathanael s’installa pour prendre la parole et sa première question obtint la réponse qu’il escomptait. Une méconnaissance des choses normale et naturelle. Ses premières paroles furent pour la rassurer, car il sentait qu’elle commençait à dérailler un peu dans son discours. Comme quand on approche de son objectif, et qu’on devient obnubilé par ce dernier. Elle n’était pas seule à souffrir ni à chercher des réponses même si il n’aurait pas la prétention de comprendre ce qu’elle pouvait ressentir. Il n’était pas damné par cette malédiction, et ayant de l’expérience, il avait toujours pu échapper à ce genre de malédiction. Le chasseur tenta malgré de nuancer les réponses qu’il apporterait à la jeune femme, afin de ne pas lui donner de faux espoirs sur certains points. Ce n’était que des déductions de sa part à partir de maigres informations récoltées au travers d’écrits de cette époque. L’objectivité n’était pas de mises pour la plupart, et il savait d’expérience que cela pouvait modifier la manière de voir ou d’aborder les choses.

Une fois ces clarifications terminées, Nathanael tenta d’exposer le plus simplement la situation et ce qu’ils savaient. Pourquoi les descendants. Le journaliste ne pouvait pas le prouver, mais toute la ville n’avait pas été frappée… Et de ce qu’il savait des personnes habitant à l’extérieur avait reçu la marque. C’était donc une déduction logique plutôt que de simplement parler de maudire la ville. Les réactions de Rosalyna furent naturelles, et c’est pour cette raison qu’il avait stoppé son explication. Lui faire accepter qu’elle payait pour des ancêtres. Difficile à assimiler. Silencieux, le journaliste observa la jeune femme lui laissant le temps de réfléchir à plusieurs choses. Des questions qu’il pouvait aisément deviner, sans pouvoir jurer que c’était celles qu’elle se posaient.

_ « Malheureusement vous touchez aux réponses que je n’ai pas en ma possession. Je ne peux rien affirmer… Peut-être cela marche-t-il avec d’autres descendants. Est-ce quelque chose de calculer ou d’imprévu ? Quelqu’un a-t-il déclenché tout ceci ou non… » Il soupira légèrement et posa sa casquette sur la table après avoir passé sa main dans ses cheveux. « Il faut savoir que la magie n’est pas une science exacte, et qu’elle a parfois ses propres règles. »

Nath aurait aimé avoir des réponses plu claires à lui apporter, mais il préférait se montrer honnête une nouvelle fois. Il aurait pu faire des suppositions et des hypothèses, mais son interlocutrice n’en avait pas besoin. Elles n’étaient utiles que pour orienter ses recherches tout simplement. Trouver des preuves et récolter des informations. C’étaient les premières étapes de la chasse. La question suivante le rendit un peu plus mal à l’aise. Son regard se posa sur la jeune femme et il mit longtemps avant de répondre.

_ « Sincèrement j’aurais aimé avoir une bonne nouvelle à vous donner mais pour le moment je n’ai aucune piste à ce sujet. » Il posa une main sur son épaule, et reprit avec un sourire encourageant. « Mais il est trop tôt pour abandonner. Avant de pouvoir lever une malédiction, il faut comprendre comment elle marche… et comment elle a été posée. Je vous l’ai dit la magie à ses propres règles. Il faut simplement trouver des informations et le déclencheur. »

Certes c’étaient des paroles encourageantes sans aucune preuve, mais il n’avait encore jamais croisé de magie qui ne pouvait être contrée ou enlevée. Pourquoi en serait-il autrement maintenant. Evidemment c’était une malédiction d’un autre genre. Plus puissante et plus étendue. Mais le chasseur ne pouvait accepter l’idée que rien en pouvait être fait. Et puis ce serait mauvais pour tout le monde. Les chasseurs ne feraient alors plus de discussion entre le bien et le mal… Déjà que certains ne le faisaient pas.

_ « Il faut vous raccrocher à vos proches pour le moment. Comme je vous l’ai dit, vous n’êtes pas seule. »

Nathanael tenta de se montrer rassurant et réconfortant, ayant une réelle envie de l’aider. Mais pour le moment, les possibilités étaient minimes voir inexistantes. Son enquête tournait un peu en rond et il allait devoir approfondir certaines choses.

Rosalyna avançait dans ses recherches. Certes, ce n’était presque rien, mais c’était toujours quelque chose. Elle savait désormais que ce tatouage était apparu à cause de ses ancêtres. Elle était punie pour des fautes commises trois cents ans plus tôt. À cause d’une chasse aux sorcières. Qu’avait-elle à voir dans toute cette histoire ? Rien à part le fait d’être née d’un enfant lui-même né d’un enfant descendant d’accusateurs ou de tueurs de sorcières. Toute cette histoire était complètement aberrante. Elle était partagée entre un sentiment d’incompréhension, un sentiment de tristesse et un sentiment de colère. D’ailleurs, ces mots laissaient entendre ses sentiments. Le tout était de savoir pourquoi est-ce que la malédiction s’était déclenchée ce 20 octobre 2018. Pourquoi ne s’était-elle pas déclenchée dans le passé. Pourquoi ne s’était-elle pas déclenchée par le futur. Ce jour avait-il quelque chose de particulier ? Quelque chose en rapport avec la magie certainement, puisqu’il s’agissait d’une malédiction lancée par des sorcières en guise de vengeance. Enfin, si la magie existait réellement. Rosalyna ne savait plus en quoi croire. Après tout ce tatouage ? Il était apparu tout à coup, sans une véritable explication, sauf s’il était véritablement l’œuvre des sorcières. Nathanael n’était apparemment pas capable de répondre à cette question. Rosy comprenait tout à fait. Il ne pouvait pas tout savoir, il ne pouvait pas tout connaître sur le sujet. Qui le savait d’ailleurs ? « Je comprends. Je me dirigerais vers d’autres personnes pour essayer d'obtenir plus de réponses à ce sujet. » Vers des sorcières peut-être ? Vers d’autres damnés ? Rosalyna ne savait pas réellement qui pouvait lui apporter cette réponse. Mais elle était déterminée à trouver des réponses, à trouver une solution pour se sortir de cette situation et reprendre une vie normale. Pour cela, elle était prête à tout, vraiment tout, ce qui serait certainement encore plus facile si elle était dans un moment de folie causé par cette fichue malédiction.

Si toutes ces recherches n’aboutissaient à rien. Si la réponse ne lui sautait pas rapidement aux yeux. Ou encore s’il n’y avait pas de solution à ce malheur Rosalyna ne pourrait pas tenir. Dans ces quelques moments de folie, elle se mettait parfois soudainement à penser à la mort. C’était une étrange sensation qu’elle n’avait jamais eue par le passé. « Je sais que tout cela prend du temps. Je veux prendre le temps de comprendre le fonctionnement de cette malédiction. Mais je ne sais pas si je vais être patiente longtemps. Je vous assure tout cela est difficile à vivre. Je change de jour en jour et j’ai peur de ce que je vais devenir. » Rosalyna jeta le haut de son front sur sa paume de main. Elle parlait trop. Pourquoi se sentait-elle autant en confiance en la présence de ce journaliste. Elle n’avait jamais ressentit ça auparavant, elle n’avait jamais accordé sa confiance aussi facilement que maintenant. Il était vrai qu’il était gentil. Il souriait, il se voulait rassurant dans ses paroles comme dans ses gestes. Il posait sa main sur l’épaule de la jeune femme pour la rassurer et l’espace d’un instant cela fonctionnait parfaitement bien. « Je suis désolée. Je ne sais pas pourquoi je vous dis tout ça. Ce n’est pas mon genre de mon confier à des inconnus. » Elle affichait un sourire forcé après sa réponse. En prononçant ces quelques mots, elle essayait de mettre une certaine distance entre les deux. Elle ne voulait pas s’attacher aux personnes de cette ville, elle le refusait catégoriquement. Et avec cet homme, c’était comme si elle était avec son père. Pourtant, ce comportement, ce sentiment lui était exclusivement réservés.

Une nouvelle fois, Nathanael voulait rassurer la jeune femme. Il disait qu’elle pouvait compter sur ses proches, mais s’il connaissait la situation de la jeune femme, il comprendrait peut-être ce sentiment de solitude. « La situation avec mes proches est assez compliquée en ce moment. Ici, je suis complètement seule, je ne peux compter que sur moi-même. Et ce n’est pas facile. Je ne connais aucun autre damné. Enfin peut-être pour le moment. » Elle pensait là à sa famille biologique. Si tout provenait de ses ancêtres, sa mère biologique et son demi-frère étaient peut-être atteint du même mal qu’elle. Où peut-être était-ce son père biologique. C’était compliquée pour elle de comprendre tout cela. Pour ce qui était de sa famille adoptive et de son mari, elle n’avait pas envie de les mêler à tout cela, elle n’avait pas envie de les mettre en danger. C’était pourquoi elle ne leur avait donné aucune nouvelle depuis des jours. Pourquoi elle avait fui son chez-soi. Pourquoi elle ne comptait jamais les revoir le temps que rien n’était réglé.